Nocturnes 7 by Connolly

Auteur:Connolly
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Archipel

L’AUBERGE DE SHILLINGFORD

Il y avait depuis longtemps une auberge à Shillingford. Le village s’est toujours situé à la croisée de plusieurs chemins : des routes secondaires aujourd’hui, mais jadis les deux artères majeures de la région – l’une reliant le nord au sud, l’autre l’est à l’ouest. Par la suite, la construction des grandes nationales réduisit l’importance de l’agglomération, mais c’est surtout l’autoroute, source de pollution et de désagréments divers, qui sonna le glas de Shillingford et de son unique auberge. Celle-ci, véritable relique d’un autre âge, se dressait, presque oubliée de tous, au sommet d’une petite colline, à environ huit cents mètres au-delà des limites orientales du hameau. Seul un panneau de bois, dévoré d’humidité, indiquait encore au voyageur de passage qu’aux environs avait existé un endroit où se nourrir et se reposer un peu.

Mais si ce voyageur avait pris le temps de s’engager sur la route envahie par la végétation pour gagner le faîte de la colline, peut-être eût-il été surpris par la légère odeur de brûlé flottant aux abords de l’établissement ; par ses murs noircis ; par le trou dans son toit d’ardoise. Car peut-être l’autoroute n’était-elle en réalité pour rien dans le déclin de l’auberge. Et peut-être, contrairement à la rumeur locale, le bâtiment ne s’était-il pas embrasé par accident – peut-être s’agissait-il d’un incendie volontaire, même si les enquêteurs les plus tenaces ne réunirent jamais assez de preuves pour parvenir à désigner sans hésitation l’auteur du délit. À la vérité, nombreux furent les témoins du sinistre, en sorte que, dans ce cas précis, on pourrait raisonnablement qualifier la responsabilité de collective.

Vous noterez ce mot « responsabilité ». Qu’on préférera en l’occurrence à celui de « culpabilité ». Car personne ne se sentit jamais coupable d’avoir réduit en cendres l’auberge de Shillingford, et nul regret ne se peignit sur les traits des villageois lorsque l’établissement flamba et que son propriétaire flamba avec lui. La police nationale s’en mêla, bien sûr, secondée par un agent municipal, qui se démena pour que l’enquête sur la mort de Joseph Long, l’aubergiste, conclue à un décès accidentel.

Mais pourquoi fallait-il donc qu’il meure ? Cela est une autre histoire, qui ne saurait nous concerner ici. Contentons-nous de signaler que, plusieurs jeunes femmes des alentours ayant disparu à l’époque, les soupçons se portèrent sur l’hôtelier. Néanmoins, aucun élément à charge ne permit de l’inculper ; d’ailleurs, on ne retrouva jamais le moindre cadavre. On fit cependant remarquer que maints voyageurs affamés complimentaient alors M. Long sur ses tourtes à la viande, à la fois exquises, disaient-ils, et hors du commun. À quoi l’aubergiste, avec un sourire timide, expliquait qu’il les confectionnait lui-même. On ajoutera qu’aux végétariens qui jugeaient la cuisine de M. Long trop peu variée, une âme cynique objecta un jour que, si l’on ne trouvait certes pas de végétal dans les tourtes du restaurateur, il était fort possible, en revanche, qu’on y trouvât parfois du végétarien.

L’auberge de Shillingford était l’affaire d’un seul homme. Car Joseph Long, non content de

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